La plupart du temps, elle serait plutôt, disons, une fille.
Tous les hommes verront bien ce que j'entends par là. Je lui offre des escarpins?
Elle m'embrasse et dit merci chéri, ils sont très jolis, mais n'empêche qu'elle s'accroche à ses baskets pourries.
Elle ne s'assoit que déhanchée, la colonne vertébraleen forme de huit et son omoplate dans l'oreille. Elle pique un crayon dans les cheveux et considère qu'elle est coiffée. Elle dit que je ne comprends rien à la mode, ni d'ailleurs aux femmes en général. Mais ce n'est pas grave, car elle m'aime comme ça.
Moi, pareil. Y compris quand elle jure comme un coursier dans un embouteillage, y compris quand elle rentre pompette, et quand je dis pompette c'est pour ne pas dire soûle, d'une soirée avec ses copines. Je ne veux pas savoir ce qu'elles ont fait, où elle étaient ni de quoi elles ont parlé, d'autant que, en général, ça fait un bon moment que je suis allé me coucher.
Quand elle rentre, elle me secoue:"tu dors?" et le temps que je comprenne où elle veut en venir, eh bien, croyez-moi ou non, elle ronfle déjà. Un petit ronflement plutôt du genre musical, et même attendrissant.
N'empêche qu'elle ronfle.
Et pourtant quelque chose m'échappe. Ou quelqu'un?
Tout le monde a déjà vu une femme se parfumer. Il y a les adeptes du bouchon derrière l'oreille, les tenantes du pschitt dans le cou, dans les cheveux, aux poignets, et même derrière les genoux. Mais elle?
Elle vaporise devant elle un nuage de parfum, et y entre d'un seul élan, les bras rendus derrière elle comme deux ailes; on dirait, l'espace d'un instant, qu'elle se retient aux deux battants d'une porte ouverte sur un monde que je ne connais pas. Puis elle recule, et referme le flacon. ça y est.
Elle est à nouveau avec moi. Revenue, oui. Mais pas à fait. Un peu changée. C'est toujours elle, mais "femme" est maintenant le mot qu'il faut employer. Alors, je vous demande : est-ce normal d'être jaloux d'un parfum?
Sylvie Overnoy